La nostalgique Serbie : en mouvement vers l’Union !

En ce 24 mars 2009 à Belgrade, deux jours après « l’anniversaire » des bombardements de 1999, l’ambiance est lourde1. Les manifestations nationalistes succèdent à celles des pacifistes. En passant devant le ministère de la Défense qui porte encore les stigmates des missiles américains (photo à gauche) on prend conscience que la Serbie est encore entre le passé et l’avenir. Il s’agit pourtant de résoudre cette contradiction pour que cet Etat intègre l’Union européenne, et ce dans l’intérêt de tous les pays membres.


Une Serbie, des territoires

Le nord du pays est animé par une capitale moderne et bouillonnante ; Belgrade, ville d’1,5 millions d’habitants. Le nord du pays est aussi caractérisé par la riche Voivodine aux multiples ethnies et aux sept langues. Le Sud du pays est un territoire sous-développé. En dépit des 64 millions de dollars versés par le gouvernement serbe depuis 2001 pour moderniser les infrastructures, le Sud connaît un important retard économique et un chômage endémique (30% de plus que la moyenne nationale)2. Dans le Sud, les tensions ethniques sont toujours vivaces. Le fossé qui sépare le Nord du Sud menace dangereusement l’unité nationale. Réduire les disparités entre les territoires est un enjeu majeur pour intégrer l’Union européenne. Si son action a permis des progrès au Portugal entre le Nord et le Sud ou entre l’Irlande et la Grande Bretagne, ce doit être possible en Serbie aussi.

La Serbie au cœur des Balkans

A l’échelle de la région, la Serbie est en retard sur ses voisins slovènes et croates. Si les longs délais pour intégrer l’Union ne posent pas de problèmes aux citoyens serbes, le maintien du visa pour les citoyens est vécu comme une humiliation. En franchissant les frontières au mois de mars dernier, j’ai pu me rendre compte des nombreux contrôles aux frontières croato-slovènes et serbo-croates, qu’on les traverse dans un sens ou dans l’autre. Ces quatre contrôles sont longs et peu probants en matière de sécurité car les bagages n’ont pas été fouillés.

Dans la mesure où la circulation des personnes est une donnée fondamentale pour le progrès des mentalités. Il semble que le maintien de visas pour le citoyen ressemble à une punition pour les errements du passé. Les autres États de la région ne jouent pas l’apaisement. Depuis 2006, le Monténégro a officiellement proclamé son indépendance et la dissolution de la communauté d’États de Serbie-et-Monténégro mais cet État est devenu un havre pour la diaspora Russe dont la réussite dans les affaires est souvent douteuse. La Macédoine, candidate à l’entrée dans l’Union mais devant régler le problème de son nom avec la Grèce… ne joue pas la carte de l’avenir en nommant son aéroport « Alexandre le Grand » et en prônant une politique populiste « d’antiquisation » de la société. Il s’agit de donner à la Macédoine des allures de grande nation Antique. Or, on sait que les projets de grande nation sont des motifs d’embrasement dans les Balkans. On ne peut que se féliciter de la position de la France prônée par le ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, M. Besson, visant à soutenir la libéralisation des visas macédoniens à condition qu’il en soit de même pour les citoyens serbes, ce que le commissaire Jacques Barrot a annoncé le 7 mai dernier.

Enfin, à bien des égards, la situation en Bosnie, partagée en plusieurs républiques et n’ayant ni armée ni police commune, est plus inquiétante.

Le Kosovo au « centre » du monde

Avec objectivité et sans arrière-pensée, au Kosovo, le droit international n’est pas respecté. En effet, la résolution 1244 du 10 juin 1999, reconnaît l’appartenance du Kosovo à la République fédérale de Yougoslavie puis de l’Etat et Serbie et Monténégro (2003). Depuis ce texte, le Kosovo est géré par la MINUK administrée par l’ONU (18 000 soldats de la KFOR-OTAN). Or, le 17 février 2008, le Kosovo a déclaré unilatéralement son indépendance. Cette indépendance n’a pas été reconnue par Belgrade et la communauté internationale est très divisée. Comparaison n’est pas raison mais que se passerait-il si le Pays basque déclarait unilatéralement son indépendance ? Depuis, les tensions perdurent. Au mois de mars dernier, des journalistes ont révélé que des politiciens kosovars auraient versé un pot-de-vin de 2 millions de dollars à des officiels des Maldives pour que cet État reconnaisse l’indépendance du Kosovo3.

Il est vrai qu’aujourd’hui les deux communautés (serbe et kosovare) ne peuvent réellement vivre ensemble. Une séparation s’impose mais en tenant compte de la sécurité de chacun. Rappelons qu’en 2004, des pogromes anti-serbes ont eut lieu. Seule l’Union européenne peut soutenir la paix sur le modèle irlandais. La différence avec le Kosovo est qu’il est au cœur d’une confrontation géopolitique mondiale entre la Chine et la Russie d’une part et les États-Unis et l’Europe d’autre part (comme on peut le voir sur la carte de la reconnaissance du Kosovo dans le monde :

Kosovo      États reconnaissant formellement l’indépendance du Kosovo      États prévoyant de reconnaître formellement le Kosovo      États ayant exprimé leur neutralité ou ayant reporté la reconnaissance du Kosovo      États s’étant déclarés préoccupés par une déclaration d’indépendance unilatérale      États ayant déclaré ne pas reconnaître l’indépendance du Kosovo      États n’ayant pas exprimé de position

La criminalité en Serbie, une tendance lourde en évolution ?

A l’image de l’Italie, le crime organisé semble être une tendance lourde de la Serbie, située au cœur des Balkans. « Depuis son émergence en Occident au début du siècle et quel que soit le contexte politique régional le trafic d’opiacés est resté une donnée constante sur les routes des Balkans. Il fait intervenir une pluralité d’acteurs, politiques et économiques, balkaniques ou pas, regroupés en réseaux d’intérêts conjoncturels ».4 La Serbie est donc toujours un carrefour pour la criminalité européenne. Les mafias italiennes, russes, chinoises et bulgares ont désormais choisi Belgrade comme lieu de rencontre.

Par ailleurs, l’Europe reste impressionnée par l’assassinat du premier ministre Zoran Djindjic au mois de novembre 2003. Pour autant, à ce jour, les membres du commando ont été condamnés par la justice, ce qui témoigne d’une ambiance assez sereine. De manière unanime, les interlocuteurs interrogés sur place estiment que depuis la réaction de la justice, on respire un autre climat à Belgrade. Avant, les « pistolets » étaient en évidence à la ceinture ou sur le tableau de bord des rutilants véhicule 4×4. Aujourd’hui ces comportements sont caducs.

Le ministère de l’Intérieur dans son livre blanc affirme qu’il y aurait une trentaine de groupes à Belgrade, à Novi Sad, Novi Pazar, Jagodina, Nis, Zlatibor et Presevo, mais aussi à Bujanovac au Kosovo. Les groupes de Zemun (Belgrade) et de Novi Beograde (qui auraient de solides liens avec les mafias de la zone et les cartels latino-américains) sont les plus importants. Aujourd’hui, ce qu’est Belgrade pour la Serbie, Novi Beograde l’est pour la capitale.

En revanche, nous nous permettrons de douter des déclarations du ministre de l’Intérieur selon lesquelles ces groupes ne seraient pas liés à une criminalité économique et financière. Leur influence sur l’axe Belgrade-Zlatibor-Crna Gora est importante dans le racket et l’enlèvement de personnes mais aussi dans les secteurs des travaux publics et du recyclage de l’argent sale. Les entreprises de sécurité privées et les officines de paris ont pignon sur rue. Il est fort probable qu’elles financent une partie des campagnes électorales, ce qui renvoie la classe politique à ses responsabilités (voir dernier chapitre).

Si la fin de l’impunité « comportementale » est un progrès, le Ministère de la justice a des difficultés à incriminer les leaders criminels car les preuves font défaut. Or, la justice est la seule arme efficace pour combattre le crime organisé.

Le problème de la justice face au crime organisé et à la corruption

Le corps des magistrats est décrié comme « corrompu » mais en réalité, le problème est que les magistrats de province traitent souvent un trop petit nombre d’affaires. Ils restent aussi généralement toute leur carrière dans la même ville, voire le même tribunal. Les tribunaux sont majoritairement de petite taille et les magistrats n’ont pas toujours une activité suffisante garantissant leur compétence et l’efficacité de la Justice. Ils peuvent aussi avoir des liens trop proches avec certains de leurs justiciables qui les empêchent de rendre une justice impartiale. La magistrature n’est pas sélectionnée ni formée uniformément. Les différences d’un praticien à l’autre sont importantes ; certains étant très compétents et d’autres moins. S’ils manquent aussi parfois de spécialisation il doit être relevé qu’une section spéciale pour le crime organisé a été créée en 2003. Il manque encore un concours pour la magistrature, prévu mais dont le projet de loi n’a pas encore été soumis au Parlement5. Afin de pallier à ces défauts du système, le gouvernement vient de faire voter plusieurs textes visant à réformer la justice

– modification de la carte judiciaire et notamment le passage de 134 à 31 tribunaux de base,

– instauration d’une évaluation des magistrats,

– modernisation des statuts et augmentation de l’autonomie des conseils supérieurs des juges et procureurs par rapport aux autres pouvoirs,

– loi sur la confiscation des biens saisis à la criminalité organisée,

– obligation de déclaration de patrimoine pesant sur les fonctionnaires,

– instauration d’une responsabilité pénale des personnes morales,

– loi sur les marchés publics,

– création de l’agence de lutte contre la corruption.

Une loi transformant le Centre de formation judiciaire, qui ne délivre actuellement qu’une formation continue, en réelle école délivrant une formation initiale à laquelle on accèdera par concours est par ailleurs en préparation au ministère de la Justice.

La réforme dans les textes n’est qu’un début. Il faudra juger les faits. Les derniers gouvernements ont montré une certaine capacité à faire adopter des lois sans toujours en anticiper les conséquences ni donner l’impression de se soucier réellement de leur mise en œuvre. L’application de la nouvelle carte judiciaire, par exemple, exigera des moyens importants en logistique, budget et formation, pour que le remède ne soit pas pire que le mal.

Le gouvernement actuel donne des gages de bonne volonté à l’Union européenne en créant les institutions censées garantir l’Etat de droit ; il lui faut maintenant leur donner les moyens nécessaires (bâtiments, budget, personnels…) et y nommer des personnes réellement indépendantes, sauf à se décrédibiliser en les privant de toute efficacité. C’est semble-t-il le manque de moyens et de réelle volonté politique qui a poussé la personne pressentie pour diriger la future agence de lutte contre la corruption, à décliner cette offre. Par ailleurs la création d’une police judiciaire travaillant sous le contrôle des magistrats, n’est pas encore à l’ordre du jour.

Enfin, la justice n’est pas la seule institutions ayant des fonctions régaliennes à devoir lutter contre la corruption. La police, les douanes et l’armée sont attendues sur le terrain des réformes mais comme dans toute démocratie, le progrès dépend de la classe politique

La classe politique, véritable frein au changement

Le système parlementaire serbe fait la part belle aux partis même petits, qui peuvent exercer un chantage néfaste. Les élections législatives se déroulent au scrutin de liste à la proportionnelle à un tour, empêchant l’émergence d’une majorité forte et efficace. Lors de la dernière législature6, le parti des retraités a obtenu un poste de vice-premier ministre, pour quelques députés qui peuvent renverser la majorité, et fait pression sur le gouvernement pour augmenter les retraites, ce qui grèverait le budget en période de crise et créerait une nouvelle contrainte pour l’adhésion de la Serbie à l’Union. Pire, au début de chaque mandature, les députés nouvellement élus remettent leurs mandats à la direction de leur parti (une lettre de démission signée en blanc), leur enlevant toute velléité d’indépendance.

Par ailleurs, les députés sont attendus sur le terrain des réformes, en particulier celle des permis de construire qui voit les citoyens demander une dizaine d’autorisation7. Le rallongement des délais incite les citoyens à de tout petits actes de corruptions qui conditionnent les mentalités. Certains politiciens prônent cette réforme mais n’arrivent à obtenir gain de cause.

A une autre échelle, les soupçons de corruption des partis politiques sont assez élevés et ce parce que leur financement reste occulte malgré les lois récentes prises en la matière. La corruption a une influence sur la vie publique en Serbie et donc incidemment sur l’institution judiciaire, nommée par le Parlement, lui-même contrôlé par les partis.

Plus généralement, le comportement des hommes politiques vis à vis de la justice est décrié comme ne respectant pas son indépendance y compris au niveau institutionnel8, alors que celle-ci n’a pour but que de donner aux citoyens une garantie démocratique minimum. Il s’agit peut-être à l’heure actuelle, de l’élément le plus défavorable à la Serbie dans sa route vers les standards européens.

L’intégration de la Serbie sera longue mais freiner ce processus est contre-productif. L’Europe agira plus efficacement contre la classe dirigeante et influera sur les mentalités une fois que la Serbie sera dans l’Union européenne. Il ne sert à rien de stigmatiser la corruption en Serbie alors qu’elle semble encore plus prégnante en Bulgarie, pays déjà dans l’Union. La Serbie possède des ressources. Un tour sur le marché « asiatique » permet de voir que les minorités et en particulier les Rroms sont mieux considérés qu’en Roumanie, pays déjà dans l’Union9. Enfin, si l’Europe n’est pas la panacée à tous les problèmes des citoyens, elle a le mérite d’avoir imposé la paix; ce dont les Balkans ont un impérieux besoin sur le long terme.

1 Sur les lieux du 24 au 29 pour rencontrer des acteurs locaux.

2 Belgrade insight, friday, march 20 au thursday march 26, 2009 p. 3.

5 Le futur concours pour l’entrée dans l’école de formation devra, pour être réellement démocratique, être accessible à tout étudiant ayant obtenu son diplôme avec des épreuves anonymes et écrites, ce que toutes les universités ne proposent pas encore, et sans épreuve de pré-sélection effectuée par des personnes non indépendantes du pouvoir exécutif (pour devenir magistrat actuellement, il faut, avant d’être désigné par l’Assemblée nationale, être pendant quelques années assistant d’un juge ou procureur, ce qui ne peut se faire qu’avec l’accord du président du tribunal ou procureur de la République)

6 Suite à la crise gouvernementale provoquée par la déclaration d’indépendance du Kosovo, le 11 mai 2008, des élections législatives anticipées ont permis l’instauration d’un gouvernement pro-européen.

7Issu de la mentalité communiste (ou tout le monde devait avoir un petit emploi même sans grand intérêt), la pratique des petits des emplois perdure, multipliant les risques de corruption.

8 Une loi adoptée fin 2008, mettant fin à toutes les fonctions judiciaires au 31 décembre 2009 et prévoyant la redésignation, par le nouveau Conseil supérieur des tribunaux, de tous les juges, est contestée par ces derniers comme portant atteinte à leur inamovibilité et donc à leur indépendance, prévue par la Constitution.

9 Sur deux marchés couverts modernes, les trois communautés asiatiques, roms et serbes ont des stands officiels, ce qui témoigne d’un climat différent de celui rencontré dans d’autres pays. Pour connaître la situation des Roms, première minorité de l’Union Européenne : http://www.romeurope.org/

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