Itv JOL Press : le pape et la mafia

Le pape excommunie la mafia italienne

Propos recueillis par Valérie Choplin pour JOL Press

Depuis le début de son pontificat, le pape François s’est lancé dans une vaste opération afin de restaurer la transparence au sein du Vatican et de l’Eglise catholique. Le 21 juin, il était en visite en Calabre, précisément là où sévit la clan mafieux ‘Ndrangheta. Au cours de son homélie, il a déclaré que la mafia n’était pas «en communion» avec Dieu. Le pape François a déclaré aussi que la mafia la ‘Ndrangheta était «l’adoration du mal et mépris du bien commun. Ce mal doit être combattu, chassé». Fabrice Rizzoli, spécialiste de la criminalité organisée et des mafias, revient sur les relations entre l’Eglise italienne et les mafias.

JOL Press: Quelles sont les relations traditionnelles entre la mafia italienne et l’Eglise catholique ?

Fabrice Rizzoli : Longtemps, l’Église, comme les autres institutions, a sous-estimé le phénomène mafieux. On comprend mal le silence des autorités ecclésiastiques puisqu’une dizaine de prêtres sont tombés sous les balles de la mafia. Pino Puglisi en 1993 et Don Diana en 1994 sont morts parce qu’ils combattaient le consensus social mafieux sur le terrain et au contact des jeunes.

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Si les condamnations de la part du clergé sont rares, elles entraînent à chaque fois la réaction des mafieux – preuve de l’importance du silence de l’Église pour ces derniers. En 1982, le cardinal Pappalardo qui dénonce la mafia et ses complices au sein de la bourgeoisie mafieuse après l’assassinat du préfet Dalla Chiesa voit déserter la messe dans la prison de Palerme. Le 9 mai 1993 lors d’une messe à Agrigente, le pape Jean-Paul II condamne pour la première fois et sans équivoque la mafia et invite les mafieux à se « convertir à la loi du Christ », et cela au moment même où les mafieux devenaient en masse des « repentis » (des collaborateurs de justice). De convertir à repentir, il n’y avait qu’un pas sémantique que les mafieux ne pouvaient accepter. La Cosa nostra sicilienne répond par le terrorisme.

Le 28 juillet 1993, deux bombes explosent devant des églises à Rome et détruisent en particulier la basilique Saint-Jean de Latran, le siège ecclésiastique officiel du pape et considérée comme la « mère de toutes les églises du monde ». En 2010, le pape Benoît XVI en visite en Sicile utilise le terme de « crime organisé » à la place de « mafia » et relativise ainsi l’importance du phénomène mafieux. Les mafieux, sensibles au langage, se contentent de déposer une bonbonne de gaz devant le centre Padre Nostro à Palerme en représailles de ce timide discours.

JOL Press: Comment expliquer que la mafia se tourne autant vers l’Eglise ?

Fabrice Rizzoli : De manière constante, les religions sont un instrument de légitimation des actes criminels, surtout sur des terres où l’on risque sa vie au quotidien et où le secret est érigé en «religion». Alimenter les peurs permet aux mafieux d’assurer la cohésion du groupe et de renforcer le lien associatif. Ainsi, la Madone du sanctuaire de Polsi est la protectrice de la ‘Ndrangheta calabraise et les néo-mafieux de Cosa nostra sicilienne subissent un rite à l’aide de l’image de sainte Annunziata, protectrice de l’organisation mafieuse. Enfin, le caractère religieux de la Sacra Corona Unita est évident : les mafieux déclarent leur foi pour mieux mener une vie de criminel.

En réalité, le mafieux fait la démonstration de sa religiosité afin de légitimer, autant que faire se peut, ses conduites criminelles, gérant ainsi les contradictions qui le tiraillent. Le mafieux admet que Dieu existe, ce qui lui évite de le chercher et lui permet de fonder le pouvoir social et militaire sur la base de la religion. En épousant la religion, les mafieux utilisent les nombreux rites catholiques qui renforcent le lien associatif entre les membres.

Les analogies entre rites mafieux et rites religieux sont très marquantes : baptême, parrainage, épreuve du feu, importance du sang… « Poussière tu es poussière tu finiras » sied bien aux mafieux qui vivent dans la culture de la mort. Le sacré permet aussi aux mafieux de trouver un sens à la vie qu’ils mènent, en particulier celui de « donner » la mort. En s’octroyant le droit de tuer, le mafieux ne cherche pas à contredire Dieu en dépit du premier commandement « Tu ne tueras point », mais bien à se mettre à son niveau.

À cela s’ajoute la dimension collective qui fait du mafieux non plus un individu mais la partie d’un groupe au service d’une justice privée. Convaincu d’appartenir à un ordre supérieur qui rend la justice, le mafieux tue l’autre parce qu’il se comporte mal ou tel autre parce qu’il n’est pas à l hauteur. Dans ce quotidien morbide, les différences entre les valeurs de la religion, de l’État de droit et de la mafia deviennent floues. Ce brouillage anéantit le sentiment déculpabilisé à la racine puisque c’est l’organisation qui décide de la mort et non plus le tueur. Le mafieux a donc bien un dieu pour qui il fait le bien, mais qu’il ne nomme pas ! Si le mafieux devait donner un nom à son dieu, il s’appellerait « mafia ». « S’il y a un dieu, c’est moi, j’ai le pouvoir de prendre et de donner la vie. » 1988, Leoluca Bagarella, chef mafieux corléonais.

JOL Press : Les Français ont tendance à avoir une image désuète de la Mafia italienne. A quoi ressemble-t-elle ?

Fabrice Rizzol i: Elle n’est en aucun cas désuète. Les mafieux calabrais ont fait le terrassement d’immeubles standing à Menton qui abritent la maison de la justice et la Communauté d’agglomérations de la Riviera Française.

Les Français ont aussi une image fausse de toute puissante (l’image de la pieuvre…) alors que la réalité se situe entre les deux. Les Français ne savent pas que les biens des mafieux en Italie deviennent des biens d’intérêt général. A quand une loi identique en France?

JOL Press : La mafia italienne ronge le sud de l’Italie depuis plusieurs années. Pensez-vous que seul le développement du Mezzogiorno en viendra à bout ?

Fabrice Rizzoli : Non, le gouvernement de centre gauche de Romano Prodi en 2000 avait obtenu des progrès économiques dans le Sud et cela n’a pas affaibli la mafia. Il faut créer les conditions économiques et sociales pour que les citoyens ne croient pas qu’il est de son avantage de suivre le mafieux. Tout dépend du politique donc.

Or, la politique est pro mafieuse lorsqu’elle est guidée par une idéologie néolibérale; celle d’une économie sans règles, sans transparence et régie par les seuls rapports de force. Or, l’idée du marché prônée par certains gouvernements est la même que celle des mafias. C’est le monde dans lequel nous vivons qui produits de la mafia.

JOL Press: On a accusé l’Eglise catholique d’Italie d’avoir été silencieuse sur les mafias pendant des années. Comment expliquer le temps qu’a mis la plus haute autorité de l’Eglise Catholique pour les excommunier ?

Fabrice Rizzoli : Pendant la Guerre froide, la menace communiste rendant la mafia respectable, le Cardinal Ruffini déclare « la mafia est une invention des communistes ». Aujourd’hui encore, un prêtre a donné sa bénédiction à un mafieux notoire pour son mariage, mais il n’était pas en cavale. Enfin, des scandales financiers liant les banques du Vatican à des agents mafieux sont récurrents. Mais avec la chute du mur de Berlin, le pape Jean Paul II a pu pour la première fois lancer l’offensive.

JOL Press: Est-ce seulement à la personnalité du Pape François que tient l’excommunication des mafieux ? Ou ce positionnement était-il à prévoir tôt ou tard ?

Fabrice Rizzoli : Le Pape va loin dans sa lutte pour la transparence du Vatican et pour aider les prêtres au quotidien. Jusqu’ici les messages antimafias du clergé étaient ambigus puisqu’ils reposaient sur la repentance individuelle et non sur la lutte territoriale en phase avec l’État de droit. Contre la mafia, le clergé proposait la privatisation du salut là où l’État prône la collaboration citoyenne.

La difficulté de divulguer un tel message venait du fait que l’Église et la mafia partageaient une valeur commune : celle de croire à un ordre supérieur, c’est- à-dire au-dessus de celle véhiculée par la démocratie. Ainsi, de nombreux prêtres acceptent les confessions des mafieux sans les inciter à changer de vie, alors que quitter la mafia veut dire collaborer avec la justice et devenir un citoyen à part entière.

En excommuniant, le pape a une position antimafia claire et efficace en disant aux mafieux : «La mafia est contraire aux lois du Christ et à celles de l’État de droit, repentissez-vous puis collaborez avec la justice ».

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Fabrice Rizzoli est docteur en science politique et spécialiste de la criminalité organisée et des mafias. Il est également l’auteur du Petit Dictionnaire énervé de la mafia.

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