Articles avec le tag ‘« repenti »’

Un nouveau collaborateur de justice pour l’Etat italien

Au mois de septembre dernier, les policiers ont débarqué nombreux dans la petite ville de Sambuca di Sicilia dans la province d’Agrigento. Il s’agissait de protéger les parents d’un chef mafieux. En effet, Calogero Rizzuto, 49 ans, arrêté l’année dernière a décidé de collaborer avec la justice de son pays (de devenir un « repenti »). Ses parents, en danger de mort parce que risquant les représailles de la part du clan, ont été transférés dans une commune italienne. Les parents du collaborateur de justice (« repenti ») vivent désormais sous la protection de l’Etat et sous une autre identité… Seule une de ses filles majeure a refusé la protection de l’état et a décidé de rester vivre en Sicile (cf.Pas de femme, pas de mafia).

Avec Calogero Rizzuto, l’état de droit italien vient de gagner une bataille contre la mafia (cf.Le “repenti” rétablit l’Etat de droit en Italie). En effet, Calogero Rizzuto est un « capo mandamento ». Il est donc le chef d’une unité territoriale mafieuse, le « mandamento » une sorte de canton au sein duquel au moins trois familles mafieuses se répartissent l’exploitation abusive des richesses (appel d’offre, racket, trafics…). D’après les enquêteurs, il a déjà fait des aveux circonstanciés qui vont se révéler très précieux dans la lutte antimafia notamment du point de vue des complicités (cf.Arrestation au sein de la bourgeoisie mafieuse).

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MafiaS et trahisonS au regard des sciences sociales

Le vendredi 19 septembre, l’équipe du professeur Sebastien SCHEHR organisait un colloque sur la trahison au regard des sciences sociales (voir le programme en cliquant sur le document en PDF ci-contre). La trahison, un thème peu étudié à l’université, fut l’occasion de parler de l’univers mafieux. Voici un résumé de cette intervention :

 

Mafias et trahison(s)

De la trahison à l’état de droit

La trahison étudiée sous l’angle des mafias peut être envisagée de trois manières.

Le mafieux trahit dans la mafia pour obtenir une promotion au sein du clan. Par exemple, le sous-chef tue le chef pour prendre sa place… le dénonce au forces de l’ordre… (le mafieux trahit au sein de son clan pour obéir aux ordres ; un soldat trahit sont partenaire criminel parce que l’ordre lui a été donné de le tuer!)

Par ailleurs, le mafieux trahit au cinéma. Les représentations étant importantes dans la compréhension des phénomènes complexes, on prendra l’exemple célèbre du film le Parrain où la trahison est omniprésente.

Enfin, le mafieux trahit l’organisation toute entière en collaborant avec la justice et l’Etat (le dernier grand chef mafieux « repenti » Antonino Giuffrré en photo) devient un collaborateur de justice, ce que les journalistes nomment par commodité un « repenti ». Dans ce cas de figure, la trahison constitue un apport incontournable de la lutte antimafia.

1. Pour expliquer le processus de trahison chez un mafieux, il faut revenir à la définition de la mafia comme une organisation politique dont la principale ressource est la violence ; une violence systémique qui permet un contrôle panoptique (Michel Foucault) de la population. Une mafia dont la cellule de base est la « famille », régie pas des rites d’affiliation et qui est fondée sur le secret (« omertà » ou loi du silence). Le secret est central dans la politique mafieuse car il s’applique aux affiliés et à la société. Celui qui ne respecte pas le secret est punit de mort (cf. Le premier “cadavre exquis” des “ecomafias”).

2. Le « repenti » ou la figure du traître qui devient un collaborateur de justice.

Le mafieux trahit donc d’abord sa famille pour devenir un citoyen. Le « traître » est alors érigé en système de lutte antimafia pour le compte de l’état de droit ; la preuve qu’il existerait des trahisons heureuses… (cf. Le “repenti” rétablit l’Etat de droit en Italie).

Conclusion :

Désormais, la mafia n’est plus une organisation secrète. Les nombreux livres écrits par les magistrats antimafias sont des sources difficilement contestables.

La trahison des mafieux envers leur ancienne famille d’appartenance est un des meilleurs outils de lutte contre les mafias. Elle est une écharde dans le système mafieux qui a même essayé de créer de faux repentis pour déstabiliser le système (cf.La Sicilienne rebelle).

Le « repenti » trahit la mafia pour devenir un collaborateur de la démocratie et donc un citoyen. Cette mutation nous renvoie à l’idée que l’homme est perfectible, qu’il peut changer, une vision pas toujours la mieux partagée.

Le terrorisme mafieux dans la crise du système politique italien

Analyse géopolitique des relations « politico-mafieuses » après la chute du mur de Berlin,

revue de l’Institut de Recherche de L’European Business school, n°11, 2008

Entre 1992 et 1993, Cosa nostra sicilienne commet pas moins de 7 attentats dont celui de Florence en 1993 (en photo) ; des attentats déjà évoqués le 12 janvier 2002 au cours d’un colloque et qui ont fait l’objet d’une attention particulière dans un article tiré d’un thèse (cf. Mafias italiennes et relations internationales) :

La fin de la confrontation « Est-Ouest », entraîne dans sa chute le « système politico-mafieux » d’après-guerre et la « première République » (1945-1992)1. Au cours de la « deuxième République », les mafias italiennes perdent l’importance qu’elles ont eu sur la scène politique et militaire dans la stratégie américaine du containment visant à empêcher tout pays du monde libre à basculer dans le communisme.

Les années quatre-vingt dix sont d’abord marquées par une confrontation entre la justice, les organisations mafieuses et une partie de la classe politique. De 1992 à 1994, l’Italie connaît une phase d’instabilité politique et économique. De nouvelles lois, un relatif renouveau de la classe politique amène à penser qu’une « seconde République » est née. Ce contexte permet une offensive des magistrats contre les organisations mafieuses et leurs complices. Face à ce nouveau rapport de force, la mafia s’adapte et reconquiert les alliances politiques. L’alibi de la lutte contre le communisme qui freinait la répression contre les mafias semble caduc. Les politiques ne sont plus en mesure de garantir l’impunité des mafieux. Les relations-politico-mafieuse semblent entrer dans une nouvelle ère.

Les magistrats profitent de ce vide politique et de la remise en cause de la loi du silence pour infliger des coups sérieux aux organisations mafieuses. La réponse de la mafia se résume à une stratégie terroriste. Par la suite, les victoires étatiques comme la terreur mafieuse ont peut-être laissé place à une nouvelle forme de pacte.

La suite :

1 La notion de changement de République en Italie ne repose pas sur une rupture constitutionnelle comme c’est le cas en France.

Opération Terminador

Le 10 septembre 2008, la direction des enquêtes antimafia de Catanzaro en Calabre a procédé à l’arrestation de sept personnes accusées d’extorsion et de meurtre. Quatre mafieux sont encore des « latitante », des fugitifs. Parmi les personnes arrêtées figure un entrepreneur qui a participé à la modernisation de l’autoroute A3 entre Salerno et Reggio. Sur la carte, on peut voir le tracé de l’autoroute en question. La justice italienne avait déjà mis en cause ce chef d’entreprise dans le cadre de l’opération « tamburo », la plus grande enquêté jamais effectuée en matière de piratage
d’appel d’offre.

Grâce à la collaboration de quatre mafieux, la justice a pu reconstruire les événements qui ont ensanglanté la province de Cosenza. A la fin des années quatre vingt dix, les travaux de modernisation de la route nationale 18 a conduit les
‘ndrines, les familles mafieuses calabraises, à s’entretuer.
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Toujours grâce aux « repentis », on apprend aussi que les ’ndrines de Cosenza ont, en 2000 et 2001, extorqué l’entrepreneur assassiné au mois de mars dernier ( La ‘Ndrangheta s’offre un « cadavre exquis » avant les élections. ). A l’époque, le boss était Vincezo Dedato. Il était aussi le « caissier » des ‘ndrines de Cosenza.
Une fois encore ; pas de lutte antimafia sans collaborateur de justice (sans « repenti »).

Le « repenti » rétablit l’Etat de droit en Italie

Le 10 juin 2008, des tests ADN ont confirmé que la police a retrouvé les restes de Lino Spatola à Villagrazia di Carini (Palerme). Lino Spatola était un vieux chef de famille mafieuse du quartier de Tommaso Natale de Palerme. Au mois de septembre 2006, il est convoqué par le boss Lo Piccolo[1]. Depuis il était porté disparu. Lino Spatola a certainement été étranglé. Il a été, en réalité, assassiné à la manière dite de la « lupara biancha ». Les autorités n’étaient pas censées retrouver son corps.
La disparition mafieuse peut avoir cinq fonctions. La première est de ne pas laisser d’indices. Les forces de l’ordre résolvent plus facilement un cas d’homicide lorsqu’elles disposent d’un cadavre.
La deuxième fonction de la lupara biancha est de semer le doute au sein même de la mafia.
Personne ne sait qui a tué et tous s’accusent. Cela crée une division qui profite au clan qui a de l’avance, c’est-à-dire celui qui a procédé à l’assassinat.
Dans le cas où l’identité du commanditaire ne fait aucun doute, la lupara biancha a une vertu pédagogique. Le mafieux donneur d’ordre devient « tout puissant » aux yeux de la population. Il a tué sans même le montrer. Une telle action revêt un caractère métaphysique.
Enfin, ne pas rendre le corps à la famille du défunt constitue une punition de
plus : une double peine.
Les forces de l’ordre ont pu faire la lumière sur ce meurtre grâce à la collaboration du mafieux Gaspare Pulizzi, un soldat aux ordres de Salvatore Lo Piccolo. Les autorités italiennes ont donc rétabli l’état de droit grâce à un « repenti ».

Le nouveau gouvernement vient de s’attaquer à limiter les écoutes téléphoniques dans la lutte contre la criminalité. Nul doute qu’il va bientôt faire de même avec les collaborateurs de justice.



[1] Dans l’univers mafieux, les convocations sentent la mort mais il est difficile de refuser car cela reviendrait à être exécuté de toute façon. On peut revoir la scène du film Donnie Brasco où Al Pacino croit qu’il va être tué et y va quand même.

[2] En effet, il était logique de penser que Nino Rotolo et non Salvatore Lo Picollo avait fait tuer Lino Sapatola.

De la mafia calabraise, de la mémoire et des femmes

Dimanche 4 mai 2008, à Reggio Calabre, Antonio Gulli, 40 ans, ancien repenti, gère une petite salle de jeux dans le rione (quartier) Modena. Deux tueurs s’approchent tirent 5 coups de pistolet. Trois atteignent la victime au thorax : fatal. Les enquêteurs ont interrogé les nombreuses personnes présentes sur les lieux (photo à gauche) mais aucune d’entre-elle n’aurait assisté à la scène…

Antonio Gulli était membre de la ‘ndrine Serraino, une famille du centre de Reggio mais qui tire sa force de son implantation à Milan. Là, dans les années soixante, débarque Maria Serraino. Elle fait 12 enfants. Avec huit de ses « enfants soldats » et leur cousin, elle dirige en marâtre une ‘ndrine. Elle contrôle un quartier de la capitale économique de l’Italie.
A la fin des années quatre vingt dix, une de ses filles se rebelle et se repentit. Maria Serraino est condamnée à la prison à vie. A la même période, Antonio Gulli sort de la mafia calabraise et collabore avec la justice, ce qui entraîne des arrestations au sein de la ‘ndrine Serraino. En 2002, Antonio Gulli arrête de collaborer avec la justice et retourne à une vie « normale ». Il est abattu en mai 2008 !

Conclusions :
La mafia a la mémoire longue. En 2006, un agriculteur a été assassiné par la ‘Ndrangheta. Il avait dénoncé ses racketteurs huit ans auparavant. En France, il y a encore des spécialistes de la mafia qui expliquent que les femmes n’ont pas de rôle dans l’univers mafieux.

PS : Pourquoi Antonio Gulli a t-il été tué avec une arme de poing, de face et devant témoins alors que d’autres victimes de la mafia calabraise ont été tuées à la Kalachnikov ou par le biais d’explosifs (art. 47 et art. 52) ?

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